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Qu’est-ce qui vous a motivé à démarrer votre entreprise ?
À l’époque, frisant à peine la vingtaine, j’étais animé par deux passions partagées avec ma sœur ainée, Angélique Marguerite Berthe : celle de créer ma propre mode et celle d’insuffler une nouvelle vie aux vêtements et accessoires anciens et aux matières recyclées. Je voyais des reportages sur les déchets textiles et l’impact que cela a sur des pays comme le nôtre et je voulais, à ma façon, changer la donne même si c’est une goutte d’eau.
J’ai d’abord dessiné des tee-shirts aux motifs ludiques, osés et colorés puis nous avons commencé à personnaliser de vieux vêtements et accessoires et à transformer en d’autres produits utilitaires les pièces qui n’étaient plus réutilisables.
Certains diront que l’audace et le côté à la fois unique et original de mes designs ont procuré une certaine renommée à mes tee-shirts. Et c’est ainsi que l’année suivante, en avril 2012, la marque fut lancée officiellement au Sénégal et en France.
Quels étaient vos objectifs lors du démarrage de votre entreprise ?
Comme dit précédemment, c’était dans un but de faire ma part sur le plan environnemental et de prouver que la mode sénégalaise peut être large et accessible à tous et à toutes et donc par soif d’innovation et d’authenticité encore une fois. De surcroit, on lisait un peu partout une presse pas trop élogieuse sur ce plan-là et de façon plus précise, sur la jeunesse sénégalaise et ses différents déboires notamment la vie active. L’envie de montrer qu’il ne faut pas toujours attendre l’offre dans les métiers dits classiques comme comptable ou commercial pour gagner sa vie – avec un salaire pouvant être misérable en plus – n’a eu cesse de grandir et cela a engendré le fait de lancer une entreprise, de créer son propre emploi mais celui d’autres jeunes ou moins jeunes et surtout de prouver qu’on est capable de cumuler études et affaires.
Comment avez-vous identifié votre idée d’entreprise ?
En réunissant nos forces et compétences, en osant faire vivre nos passions et surtout en voulant rendre hommage au continent africain et africaniser la mode moderne pour montrer qu’on peut mettre des vêtements faits avec nos propres tissus, nos beaux tissus traditionnels.
En gros, l’idée était et est de définir par le concept d’authenticité une nouvelle identité très respectueuse de l’héritage de non pas l’Afrique mais des Afriques, une identité plurielle et moderne. Et c’est à cet effet nous rendons hommage à toutes les richesses humaines, matérielles, etc. que nous offre notre cher Sénégal et de façon plus large, notre continent par la mise en avant du savoir-faire de ses filles et fils.
Quels produits ou services votre entreprise fournit elle?
Notre concept-store appelé CHELIEL propose à tout individu, à travers le monde, un vêtement, un accessoire ou une paire de chaussures édité seulement en une pièce unique ou en une série très limitée et fait avec des tissus d’Afrique comme le bogolan ou le pagne tissé qui racontent une histoire mais aussi avec des textiles recyclés.
Nous avons aussi le CHELIEL COFFRET qui est un assortiment de 5 à 6 produits, en édition limitée, qui permet de découvrir les trésors des mondes afro et québécois. Cette boite-cadeau raconte l’histoire, les découvertes culturelles, les innovations gustatives, la richesse décorative de ces deux mondes, etc. Chaque coffret contient une variété de produits sélectionnés parmi les meilleurs produits du terroir, des collations gastronomiques, des soins naturels et biologiques, des accessoires de mode, des bijoux originaux, … et souvent faits-main mais également des œuvres littéraires ou artistiques, et bien d’autres surprises.
Quant à la MAISON CHELIEL, c’est une vitrine où la clientèle peut retrouver tous nos coups de cœur pour la maison et le lifestyle fabriqués essentiellement en Afrique de l’Ouest et plus précisément dans notre cher Sénégal mais aussi nos propres créations faites la plupart du temps avec les retailles de tissus ou autres matières ; toujours dans un souci de réduire nos déchets textiles.
Quelles expériences entrepreneuriales aviez-vous avant le démarrage de votre entreprise ?
La vie ! Je n’ai pas eu à passer par une formation quelconque en entrepreneuriat à mes débuts. C’était un univers inconnu avec son lot de défis mais très attractif. On ne sait jamais qui on va rencontrer ou avec qui on va collaborer.
Quels problèmes avez-vous rencontre lors du démarrage de votre entreprise ?
Les ressources financières ! C’est le problème le plus récurrent pour les jeunes entrepreneur.e.s . À cela s’ajoute la recherche de bons partenaires comme des fournisseurs pour la production.
Comment avez-vous résolu ces problèmes ?
Pour créer la toute première collection, je me rappelle avoir économisé durant des mois jusqu’à l’obtention d’une somme qui me permettait de privatiser une partie du Sea Plazza Dakar pour faire mon tout premier défilé et ce, sans sponsor. Et aujourd’hui, nous avons à notre actif près d’une centaine d’événements dont des défilés de mode, des salons-expositions, … rien qu’à Dakar et à Montréal.
Pour ce qui a trait aux « bons » fournisseurs (artisans, imprimeurs et autres), cela s’est fait au fil des années après des tests de personnalité surtout.
Quelles ont été vos sources de financement pour démarrer votre entreprise ?
J’en parle à la question précédente mais j’aimerais rajouter le fait que j’étais encore à l’école quand j’ai sauté dans l’aventure entrepreneuriale. La première année, mon argent de poche, en d’autres termes de petites sommes mises de côté avec rigueur ont permis cela. Quand ma sœur Angélique m’a rejoint dans l’aventure – elle était aux études également et payait ses formations et une grande partie de ses dépenses de vie en France – nous avons pu mettre encore plus et faire croître nos activités.
Quelles contributions votre entreprise apporte-t-elle au bien être de la communauté ?
Bâtie autour de l’idée d’une conscience sociale et environnementale, Cheliel prône l’artisanat responsable dans des lieux de travail équitables et reverse une partie de ses bénéfices et des vêtements issus de son programme de réduction de l’impact environnemental des produits textiles jetés aux ordures à des associations œuvrant pour les enfants, en particulier.
Sur notre site, vous pourrez voir que nos raisons d’être sont multiples. Je peux citer :
La prolifération des enfants dans la rue et des enfants marginalisés (talibés).
Chaque année, nous choisissons de soutenir, une association qui s’active principalement pour ces adultes de demain. Au Sénégal, nous avions porté notre choix sur Lueur d’espoir en 2012 à 2013 qui œuvre en faveur des enfants indigents souffrant de maladies graves et qui apporte à ces petits anges une assistance financière et psychologique ; Help the Street Children: HSC / Aider les Enfants de la Rue: AER de 2012 à aujourd’hui qui vient en aide aux enfants de la rue: enfants délinquants et enfants talibés ; Pouponnière Cité de l’Emmanuel Nianing en 2018-2019 qui a pour objectifs de protéger les enfants vulnérables ou en danger par leur prise en charge et par la réduction du taux de mortalité grâce à la mise en place d’un cadre adéquat et de promouvoir la vie de famille (biologique, adoptive ou d’accueil) au terme du séjour.
La discrimination liée au physique (poids, couleur de peau, texture capillaire)
Cheliel souhaite faire apparaître des mannequins qui « sortent des tailles 34-36» ; en gros des standards. Elle veut une harmonie entre son image et la mobilisation qui lui tient à cœur depuis sa création ; à savoir, montrer aux personnes ayant des formes voluptueuses que la mode se fait aussi avec elles, aux jeunes femmes qu’elles peuvent porter leur teint ou leur chevelure au naturel.
L’étouffement des tissus africains par le wax et disparition du savoir-faire textile africain
Le wax, ce tissu qualifié d’africain alors qu’il ne l’est pas, connait un tel engouement actuellement, du fait des nombreux petits créateurs se lançant sur le marché que les vrais tissus originaires du continent noir se voient être étouffés. Toutefois, Cheliel a toujours gardé sa volonté d’encourager le développement des tissus 100% africains mais également des techniques comme le tissage du coton faso dan fani, le kenté, le batik, le bogolan malien, etc. qui permettent, entre autres, à un tisserand de garder son travail et surtout d’avoir un revenu récurrent.
Aujourd’hui, elle veut en faire sa matière première principale et oeuvre dans le but de redorer l’image de ces tissus oubliés et en voie de disparition.
Le nombre grandissant des déchets textiles
En effet, dans le cadre d’une stratégie de diminution de l’empreinte environnementale qu’ont les produits textiles jetés, ceux-ci seront collectés en vue d’être recyclés en fibres textiles ou pour donner naissance à de nouveaux produits (exemple : un vieux jean pour faire des sandales ou une veste en cuir pour un portefeuille) ou, le cas échéant, reportés par les «clients» d’une association ou réutilisés, dans le cas où ils servent plus dans l’habillement, pour créer des accessoires utilitaires comme les chiffons.
La lente extinction des papillons
Les papillons aussi sont des victimes quotidiennes de l’érosion de la biodiversité.
Le papillon est l’animal-totem de la marque – mais de la famille aussi -. L’objectif est d’inviter la clientèle à créer une oasis pour les papillons, par la culture de l’asclépiade et de plantes nectarifères ; ce qui contribue, par la même occasion à préserver ces espèces migratrices, notamment les monarques.
Est-ce que vous avez des entrepreneurs dans votre famille ?
Nos parents sont des salariés mais avec un côté entrepreneurial très poussé selon moi. Ils ont su mettre cette fibre en nous mais ma sœur et moi, sommes les premiers entrepreneurs officiellement. (Rires)
Qui sont vos clients et comment vous promouvez votre entreprise ?
Étant présents dans des villes très cosmopolites comme Dakar ou Montréal, nous avons une clientèle de tous âges très diversifiés et provenant des quatre coins du monde.
Cela implique donc que nous soyons sur la toile avec une boutique en ligne et une présence accrue sur les réseaux sociaux afin d’atteindre cette clientèle. Collaborer avec des artistes mais aussi participer à plusieurs événements nous permettent aussi de garder ce lien et d’en créer de nouveaux et de promouvoir nos créations et notre entreprise.
Qui vous a aidé à démarrer et à gérer votre entreprise ?
La famille avant tout !
Comment vos antécédents personnels ont-ils influence votre décision de créer votre entreprise ?
Ma mère est une grande fashionista. Elle travaillait bossait dans un grand cabinet d’audit mais elle avait ce côté artistique très développé. Elle cousait, dessinait les tenues de mon père, décorait, bricolait, etc. On passait la journée avec des tailleurs à la maison ; ils faisaient partie de notre quotidien. Jusqu’à aujourd’hui, je vais toujours à la recherche des conseils avisés de ma mère sur le plan de la couture.
J’ai aussi trois grandes sœurs avec un sens de la mode et chacune a son style.
Avez-vous déjà échoué en affaires et qu’avez-vous appris de l’échec ?
La vie est un apprentissage permanent, je suis quelqu’un qui adore les risques.
Quand on dessine une collection, on ne sait jamais comment les gens vont l’accueillir. Je suis toujours mon feeling, je ne m’occupe pas de la couleur de la saison encore moins des nouvelles tendances. J’y vais toujours avec mes idées. Souvent, cela fait ressortir des collections atemporelles et c’est ce qu’on cherche dans une mode écoresponsable.
Comment utilisez-vous vos bénéfices ?
Nous avons choisi de reverser une partie de nos bénéfices et des vêtements issus de notre programme de réduction de l’impact environnemental des produits textiles jetés aux ordures à des associations qui luttent contre les inégalités et surtout chez les enfants. En tant que jeunes, nous nous devons d’agir pour les enfants qui sont les adultes de demain
Comment êtes-vous en concurrence avec d’autres entreprises similaires ?
Concurrence ? Kesako ? (Rires) Je ne me vois pas en concurrence avec qui que ce soit surtout en matière de créativité, de mode. Notre planète est tellement peuplée que je pense qu’il n’y a pas assez de designers de mode ! Vous n’êtes pas du même avis ?
J’aime bien l’adage qui dit « Kounekk ak sa weurseukk » (À Chacun sa chance).
De nos jours, toute personne dans ce milieu a sa signature, sa clientèle et je trouve plutôt qu’entre concurrents – comme certains nous appelleraient – il y a beaucoup d’entraide. J’ai un réseau constitué de designers et nous nous partageons de bons tuyaux sur la mode voire l’entrepreneuriat. Donc, nous sommes plus des alliés, des partenaires que des concurrents. Tout le monde peut avoir sa part du gâteau.
Je pense fortement que notre génération ne fait plus attention à ce genre de détails. La preuve en est que maintenant une tenue publiée sur Instagram peut connaitre un réel succès en 48h car les réseaux sociaux permettent cette communication autour, cette promotion virale devenue accessible grâce aux jeunes, aux proches et autres.
Et en même temps, Dakar ou Montréal est tellement petit que nous partageons les mêmes milieux, participons aux mêmes événements et collaborons avec les mêmes mannequins.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui envisagent de créer leur propre entreprise ?
FONCEZ ! OSEZ ! ENTREPRENEZ ! Avec le coût de la vie qui est tellement élevé, un seul boulot est insuffisant pour subvenir à ses besoins et surtout si c’est le travail qui ne fait pas vibrer, qui ne fait pas se sentir humain, pour lequel on y va à reculons. Alors, choisissez le métier qui vous fait rêver, faites vivre vos passions.
Quelle est la meilleure et la pire partie de votre vie d’entrepreneur?
J’aime dire que c’est comme le déballage d’un cadeau : l’appréhension, l’inconnu au début quand on reçoit le paquet puis la révélation quand on enlève l’emballage et qu’on découvre le contenu. C’est la même sensation du croquis en passant par la couture au premier essayage.
Pour ce qui est de la pire partie de la vie d’entrepreneur, je dirais que ce sont les critiques NON constructives.
Combien de temps consacrez-vous chaque semaine à vos activités commerciales ?
Je me focalise surtout sur toutes les opérations en amont d’une création : les dessins, le prototypage, la couture, les retouches, etc. Tous les aspects venant après la production sont du ressort d’une équipe de jeunes qui gère donc l’administration, les ventes, le marketing, les communications, entre autres. Nous tenons régulièrement des rencontres afin de discuter des enjeux et suivre les plans d’actions. Avec le travail à distance, les nouvelles technologies et toute autre innovation, tout est devenu possible mais surtout plus facile. Nous pouvons nous recentrer sur le cœur de métier et avec ce gain de temps, booster encore plus notre créativité.
Une personne du sexe opposé aurait-elle des difficultés à exploiter cette entreprise ?
Quelle drôle de question ! Nous sommes en 2022, ce genre de discrimination n’a plus sa place dans les discours. Notre entreprise est inclusive sur tous les plans et est dirigée à la fois par un homme et une femme.
En plus, nous vivons dans un pays où les femmes sont réputées être des entrepreneures hors pair. Combien de mères croise t on au détour d’une rue, devant leur échoppe qui nourrit toute une famille ? Ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas un statut officiel d’entrepreneures ou qu’elles n’ont pas rédigé de plan d’affaires qu’on doit dire qu’elles ne sont pas capables. Bien au contraire, ces femmes sont des modèles de réussite, des mentors, des mères qui ont amené loin leurs fils et filles en payant leurs études.
Avez-vous un partenaire commercial ou des partenaires ?
Oui, nous en avons quelques-uns mais à certains niveaux.
Si oui, qui est le partenaire ?
De peur d’en oublier, je dirais que ce sont des partenaires dans la presse, les services professionnels, l’environnement et l’agriculture, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, etc.